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La Croissance de l'Etre
- Frédéric Lenoir

Fin mars dernier, nous avons eu le plaisir de recevoir notre ambassadeur Frédéric Lenoir avec Leili Anvar au lycée Henri IV dans le cadre du très beau projet Lumières citoyennes. Pour celles et ceux qui n'ont pu assister à cet événement, voici un petit retour sur quelques-uns des temps forts  !

 

Accueil et remerciements

F. L : Je suis très heureux de répondre à cette invitation dans le cadre du projet Lumières Citoyennes et je suis très heureux de retrouver aussi Leili Anvar. Quand on faisait Les Racines du ciel sur France Culture, nous avions le bonheur d’échanger comme cela avec nos auditeurs et c’était en 2014. Donc ce sont de belles retrouvailles.

LC : Pourquoi un tel enthousiasme pour Sigmond Freud et Carl Gutav Jung >

F. L : Jung est un grand psychologue qui s’est intéressé à la psychologie des profondeurs au XXème siècle.

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Il était potentiellement le successeur de Freud qu’il a rencontré au début du XXème siècle. Il y a eu vraiment un coup de foudre entre eux.

 

LC : Sommes-nous déterminé par nature >

F. L : Il y a d’autres désirs dans l’être humain et qui viennent d’une autre part de lui-même, l’esprit, ce que Freud et Jung appelleront ensuite le Soi, c’est-à-dire le centre de son être qui est une zone lumineuse. L’être humain est naturellement attiré par cette zone lumineuse en lui car elle le fait grandir. Jung partage l’idée avec Freud que nous sommes très conditionnés, par totalement déterminés, mais très conditionnés par notre inconscient. Donc tant que nous n’avons pas fait un travail sur nous-même de prise de conscience nous sommes mus par des désirs inconscients, des affects, des pensées héritées de notre famille, des a priori, des préjugés culturels, etc.

« L’individu devient lui-même comme individu par la lumière de l’esprit »

 

LC : Nous ne serions donc pas libre d’être nous-même >

F. L : L’être humain n’est pas libre mais il peut le devenir par un travail de conscientisation. Pour Jung et contrairement à Freud, ce travail de conscientisation n’est pas uniquement fait d’un travail sur des pulsions inconscientes qui viendraient de la libido, mais il est fait par l’esprit, qui nous permet de grandir et de mettre à jour notre inconscient. On passe alors de l’inconscient à une lumière de plus en plus grande que nous apporte la conscience et qui nous permet d’être pleinement nous-même. Cela rejoint l’idée qu’au départ nous sommes un chaos et que progressivement nous devenons nous-même. Ce travail s’appelle le processus d’individuation, autrement dit, l’individu devient lui-même comme individu par la lumière de l’esprit.

Ce processus d’individuation c’est à la fois une mise à jour de la conscience, c’est-à-dire la conscientisation de ce que nous sommes et ce qui nous meut. C’est un travail d’introspection et une connaissance de soi et c’est ce que nous dit très bien Socrate « Connais-toi, toi-même ».

>>Le combat de Jacob face à l'Ange, œuvre émouvante et testamentaire du peintre Eugène Delacroix conservé à l'église Saint-Sulpice à Paris et figurant le combat intérieur et la part animale que l'homme est appelé à sublimer.

LC : Jung et le processus d’individuation...

F. L : Dans ce processus d’individuation, il y a une étape très importante et c’est ce que Jung appelle « la traversée de l’ombre ».

L’ombre c’est ce qui nous dérange le plus. L’ombre est constituée de nos pires pulsions. Elle incarne les souterrains de notre psyché. Pour Jung, il ne peut pas y avoir de processus d’individuation réussi tant que nous n’avons pas traversé notre propre ombre. C’est pourquoi à un moment donné dans notre vie, il faut descendre dans notre cave. Mais il faut y descendre munis d’une lanterne pour voir dans notre psyché ce qu’il y a. Il faut donc connaitre le souterrain de notre être ; et à partir du moment où l’on sait ce qu’il y a, on peut le sublimer.

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«Ce n’est pas en contemplant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant son regard dans notre propre obscurité »

 

Portrait photographique du fameux "psychologue des profondeurs", Carl Gustav Jung
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Frédéric Lenoir est écrivain, philosophe, sociologue, docteur de l'Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales (EHSS) et auteur d'une cinquantaine d'ouvrages traduits dans le monde. Il est également un des ambassadeurs de Lumière Pour TouS et du projet Lumières Citoyennes.

 

"Il faut développer la Raison et l’Intuition qui sont les deux grandes lumières de l’esprit"

LC : La sublimation freudienne >

F. L : Cela veut dire que l’on peut dépasser des pulsions qui sont extrêmement destructrices. Ce travail est possible avec les lumières de l’esprit qui nous permettent d’éclairer tous les soubassements de notre être pour être pleinement soi-même.

LC : ... une idée antérieure au XIXème siècle ?

F. L : Au XVIIème siècle, Spinoza invente une philosophie qui va appeler l’Ethique et qui est d’une puissance absolument incroyable. Spinoza nous dit en effet que tout être vivant fait un effort pour persévérer dans son être » (cf l’Ethique, livre III, proposition 6). Ce que l’on va appeler conatus en latin. L’individu est donc naturellement poussé à une croissance naturelle de son être. Pour Spinoza, il y a deux sentiments fondamentaux qui accompagnent le vivant c’est la Joie et la Tristesse. La Joie, c’est à chaque fois qu’un être augmente sa puissance d’agir et donc sa puissance vitale. En revanche, chaque fois qu’un individu rencontre un obstacle qui l’empêche de s’accomplir, il est dans la Tristesse.

LC : Baruch Spinoza annonce-t-il Carl Gustav Jung ?

F. L : Il y a une très grande parenté entre Spinoza et Jung. La lumière de l’esprit va nous aider à aller de plus en plus vers la croissance de notre être et pour Spinoza c’est le travail de la Raison qui nous permet de faire ce processus vers la Joie permanente et le terme de la philosophie de Spinoza, si on la met en œuvre, est ce qu’il appelle la Béatitude, mot religieux qui désigne le bonheur suprême, absolu. Pour Spinoza cette béatitude s’acquière par la Raison. Spinoza n’est pas religieux. 

JPR > Parlez-nous justement un peu de Spinoza.

Spinoza va rompre avec la religion. Juif, il va être banni de sa communauté de manière terrible, c’est-à-dire par un acte de bannissement. Il va donc être solitaire très jeune, c’est-à-dire à l’âge de 23 ans et c’est dans la philosophie qu’il va trouver le « salut ». Par l’introspection, la réflexion et la Raison il va découvrir une voie dit-il qui va le mettre dans une joie permanente. Cette voie il va l’appeler l’Ethique et cela va donner naissance à l’ouvrage du même nom et qui raconte tout ce processus.

LC : Spinoza était-il un esprit visionnaire >

F. L : Spinoza nous dit en effet, trois siècles avant Freud que nous ne sommes pas libres mais esclaves de nos affects et de nos émotions. Par la lumière de la Raison, Spinoza nous dit qu’il faut éclairer à la fois nos affects, mais aussi nos idées car, pour Spinoza il y a des idées adéquates, c’est-à-dire des idées justes, et des idées inadéquates, c’est-à-dire des idées fausses ; et donc nous sommes comme enveloppés d’imaginations, d’opinions, d’idées erronées, et de croyances qui nous maintiennent prisonniers de l’ignorance. Il faut donc passer de l’obscurité de l’ignorance à la lumière de la connaissance.

Cette lumière de la connaissance c’est tout un processus rationnel, d’observation de soi, de connaissance, de culture, de réflexion, qui va permettre à l’individu de développer progressivement des idées adéquates, donc des idées justes, et c’est parce que nous aurons de plus en plus d’idées adéquates que nous pourrons de plus en plus éclairer nos affects et nos désirs et les comprendre. Cela permet de s’épanouir et du même coup il y a une joie qui vient, car pour Spinoza il y a toujours une émotion qui accompagne une idée. Les idées et les émotions vont ensemble.

Donc plus nous avons d’idées inadéquates, plus nous avons de tristesse et plus nous avons des idées adéquates, plus nous avons de joie. Ainsi, c’est la lumière de l’esprit qui nous conduit vers de plus en plus d’idées adéquates.

LC : Raison et Intuition, les deux lumières de l'esprit >

Il y a la Raison mais il y a aussi l’Intuition. Spinoza est le grand philosophe de l’intuition et il nous dit à la fois que la Raison est une lumière qui nous permet de progresser par l’observation, la comparaison, le raisonnement etc, mais il y a aussi des choses que l’on ne peut pas découvrir qu’avec la Raison. L’Intuition c’est une connaissance immédiate des principes sans avoir fait tout le cheminement rationnel. Parfois, nous avons des intuitions fulgurantes et qui nous indiquent la direction à prendre. Cela vient de notre esprit. Mais attention, Spinoza nous dit aussi que souvent nous confondons notre intuition avec nos désirs. Il faut donc que la Raison commence par « déblayer le terrain » et ainsi, plus la Raison aura déblayé nos affects et nos idées, plus nous aurons des idées adéquates et plus notre Intuition pourra se développer de manière juste. Donc Raison et Intuition vont de pair. Il faut développer la Raison et l’Intuition qui sont les deux grandes lumières de l’esprit, lumières qui nous permettent de passer de l’ignorance à la connaissance et de la Tristesse à la Joie.

Voilà donc, en quelques mots, comment l’être humain peut faire ce travail vers la lumière, lumière qui engendre une croissance de son être et l’incarnation de la lumière, pour Spinoza, c’est la Joie.

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